Par Louis Dizier
Rencontre avec des étudiants remarquables
A la fin de leur première année d’étude, certains élèves de NEOMA Business school ont choisi d’effectuer un stage humanitaire au Cambodge dans le cadre d’un programme éducatif. Parmi eux Raphaëlle Boulevart, une ancienne élève de prépa, qui m’a introduit cet été auprès du groupe et de l’association. Retour sur une expérience riche d’enseignements.
Le tuk-tuk file à vive allure à travers les quartiers populaires de Phnom Penh, le long des innombrables échoppes débordant largement sur les trottoirs. Après quelques errances, nous arrivons enfin à Aspeca student center. Raphaëlle, m’attend à l’extérieur. Issue de la prépa HEC de Saint Denis de la Réunion, et maintenant élève de NEOMA, elle a accepté, avec l’autorisation du directeur, de m’ouvrir les portes du centre. Elle a pu se libérer pour l’occasion avec Benjamin, son camarade de promo. Nous nous retrouvons dans une vaste cour plantée d’arbres qui nous protègent un peu des moiteurs de la mousson. Moment de retrouvailles sympathiques : nous parlons un peu du passé, mais très vite nous abordons les raisons qui les ont poussés à participer à cette mission.
L’association Aspeca student center, parrainée par Enfants d’Asie, aide les enfants les plus défavorisés en leur apportant des structures pour l’éducation, la santé et le soutien aux familles
Une association qui a fait ses preuves
Nos deux étudiants ne sont pas venus ici par hasard. Benjamin a beaucoup voyagé notamment en Indonésie. Il veut élargir sa connaissance de l’Asie. Raphaëlle a une solide expérience de l’action humanitaire. Elle a travaillé à six reprises dans des ONG éducatives à Madagascar. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est inscrite à ESC Sans Frontières, l’association de solidarité internationale de NEOMA Business School qui agit en faveur de l’éducation d’enfants défavorisés. Elle en connait parfaitement l’historique : la première mission a été créée en 1993 au Sénégal pour mettre à la disposition des écoliers des fournitures scolaires. En 2007 est créée la mission du Cambodge dont le but est de soutenir l’ONG enfants d’Asie destinée à accompagner les enfants des milieux défavorisés dans leurs études en leur procurant un suivi pédagogique et un logement. La mission des Philippines, créée en 2019 en collaboration avec l’ONG Gawad Kalinga, reconstruit des villages. Enfin la mission Pérou créée en 2012 en collaboration avec la CIMA, a pour but de protéger les enfants contre les vices de la rue, et de leur apporter un bagage éducatif. Au total plus de 20 000 enfants sont touchés par les actions d’ESC sans frontières.
Chaque été les étudiants bénévoles de la mission du Cambodge se scindent en deux groupes, travaillant en alternance sur deux sites différents, celui de Phnom Penh, réservé aux plus grands, et celui de Takeo Smaong, plus au sud dans la campagne, réservé aux écoliers. Ces centres sont des foyers d’accueil, qui prennent en charge les élèves après les cours. Il faut leur trouver les activités adéquates : cours d’anglais, d’espagnol de français, cours d’informatique (maniement d’Excel et de PowerPoint), préparation aux entretiens d’embauche, sorties culturelles, sport et travaux manuels. Mais nos volontaires mettent également volontiers la main à la pâte en rénovant par exemple le centre de Takeo Smaong, qu’ils ont entièrement repeint et aménagé. Pour des échanges fructueux, il faut un cadre accueillant, et tout le monde y trouve compte : les élèves se sentent bien dans leurs locaux, et les étudiants bénévoles en immersion sont heureux de découvrir une culture profondément différente de la leur. C’est tout le bonheur que leur apporte une mission où ils se sont beaucoup investis. Transformer sa vie en expérience, n’est-ce pas le but ultime d’un voyage réussi ?
Regarder vers l’avenir
Mais la réalité n’est pas toujours idyllique et je demande quels sont les obstacles et les difficultés rencontrées. La langue bien-sûr…mais les cours d’anglais intensifs donnent des résultats assez rapides ; on se débrouille, d’autant plus que nos jeunes bénévoles apprennent très rapidement les phrases les plus courantes de la langue khmère. Toutefois, les obstacles véritables viennent de plus loin. Benjamin, qui a beaucoup appris des cours de géopolitique dispensés en prépa, pense que la tragédie vécue par le pays de 1975 à 1979 sous le régime des Khmers rouges fait encore sentir ses effets. Quand la plupart des élites et des gens qualifiés ont été liquidés, le pays peine à retrouver une dynamique de développement. Il a fallu repartir à zéro. L’éducation est un bien encore trop rare, et pour beaucoup de familles envoyer les enfants à l’école et les encourager à obtenir des diplômes n’est pas une priorité. Chez les enfants non plus la motivation n’est pas toujours au rendez-vous. C’est précisément sur ce point que les bénévoles de NEOMA travaillent : donner le goût des études aux élèves, leur insuffler l’envie de réussir, faire en sorte que les difficultés liées à la pauvreté et au poids des traditions ne soient pas une fatalité. C’est par sa jeunesse que le pays, sans oublier son passé, affrontera les défis de l’avenir dans un environnement géopolitique compliqué et très concurrentiel.
Je demande ensuite à Raphaëlle et Benjamin, maintenant qu’ils ont le recul nécessaire, quels bénéfices ils ont retirés de leurs deux années de prépa. Ils me répondent spontanément : un bagage intellectuel solide, une culture qui leur permet de se poser des questions et d’entrer dans les débats de nos sociétés. J’ai moi-même constaté lors de cette brève rencontre leur remarquable aptitude à parler de sujets variés en connaissance de cause et avec une aisance qu’ils n’avaient certes pas en entrant en prépa. Que de chemin parcouru en si peu de temps ! Ils regrettent toutefois que les enseignements dispensés en première année d’école ne fassent plus la part belle aux matières générales et ils parlent même de coupure culturelle. Une seule matière semble dans le prolongement de la culture prépa : intitulée humanité et management, elle se propose d’étudier le monde de l’entreprise à travers un questionnement philosophique, la place de la philosophie dans le travail.
Toutefois à l’école les acquis se font sentir dans bien d’autres domaines. Grâce à la prépa ils ont appris à assimiler beaucoup de choses en peu de temps. Capacité de travail qui a aussi une dimension qualitative : « on prend le travail au sérieux…on veut rendre quelque chose d’abouti et on sait s’organiser ». Ils décrivent ainsi un processus bien rodé remontant à la prépa : prendre des initiatives, exploiter son potentiel, finaliser le travail. A l’école, ceux qui ont fait une classe préparatoire sont leaders dans les travaux de groupe, ils savent s’organiser, créer des structures efficaces, quand il s’agit par exemple de monter par simulation une entreprise.
La retraite est une occasion formidable pour retrouver ses anciens élèves et les encourager
Travailler ensemble autour d’un projet
Quelques jours plus tard, je dîne avec l’ensemble des élèves dans une pizzeria à l’autre bout de la ville. Les deux groupes se retrouvent chaque week-end à Phnom Penh et profitent de cette capitale jeune et grouillante de vie pour sortir. A travers leur engagement ils ont appris à se connaitre et le groupe est visiblement très soudé.
Est-ce le cas à NEOMA ? Pas vraiment. La proximité d’autres écoles sur l’immense campus de Rouen est trompeuse : on se côtoie sans vraiment se rencontrer. Il manque tout un maillage d’associations transversales, qui pourraient créer des synergies. A lieu de cela, beaucoup de groupes se forment, s’accusant mutuellement de sectarisme. Bien entendu, tout cela repose sur des malentendus ; il faut donc se rassembler le plus possible autour de projets et des activités communes.
Bizarrement également, l’idée européenne ne fait pas recette auprès de nos jeunes. Ils n’ont rien contre, mais ils n’ont pas l’enthousiasme des générations précédentes, lorsque la construction européenne suscitait les espoirs d’un monde meilleur. L’Europe semble plus un fait acquis qu’un projet. Ils reconnaissent toutefois qu’ils ne la connaissent pas vraiment bien, les échanges culturels entre nations étant à leur avis trop restreints. J’ai aussi le sentiment que leur regard va plus loin : à l’heure de la mondialisation, l’Europe semble bien petite, et leur horizon s’est considérablement élargi. Ici, à Phnom Penh, bien des cultures se mélangent avec leur lot de découvertes et de promesses d’aventures.
Un grand merci à Raphaël Poutignat, directeur du centre, et aux étudiants de NEOMA que j’ai pu rencontrer dans des moments d’agréables conversations : Othman Abichmou, Raphaëlle Boulevart, Sarah Mpokfuri, Justine Tannières, Inès Trabelsi, Benjamin Turlay. Je leur souhaite bonne chance pour la suite et qu’ils conservent l’ardeur qui les anime au service des autres !
Louis Dizier
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